Que sont les myrtilles cultivées et quelle a été leur évolution ? Lorsqu’il y a 30 ans j’ai commencé à m’intéresser aux myrtilles, il s’agissait alors d’une spécialité. On connaissait les deux ou trois myrtilles pionnières suisses par leur nom, elles n’étaient proposées que sporadiquement au supermarché et en quantités limitées. Et lorsque j’ai créé un mini-massif de terre de bruyère dans le jardin de mes parents et planté deux myrtilliers (qui ont donné les meilleurs fruits pendant près de 25 ans), ceux-ci étaient les premiers de la rue. Et aujourd’hui : Des myrtilles partout, au supermarché 365 jours/an et si l’année comptait encore plus de jours, ce ne serait certainement pas un problème ! Oui, il y a aussi des myrtilliers ici, oui il y en a aussi, mais alors d’Amérique du Sud, du Nord, d’Espagne, d’Italie, de Nouvelle-Zélande et d’Australie. La myrtille s’est hissée en un temps record au rang de fruit mondial, qui n’a rien à envier à la pomme, l’orange et les frais en termes d’ubiquité et de disponibilité. En fait, la myrtille n’a que des avantages par rapport aux autres fruits du monde entier : Elle peut manifestement être maintenant cultivée sous tous les climats (à l’exception des tropiques peut-être), en étant moins soumise à certaines conditions climatiques (froid hivernal) que le pommier par exemple. -, mais pourquoi ? Pourquoi la myrtille cultivée rencontre-t-elle un tel succès ? Dans nos jardins ainsi que dans la gamme de Lubera®, elle a dépassé en une génération toutes les baies, sauf peut-être les framboises et les fraises. Pourquoi est-ce ainsi ?
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Myrtilles cultivées (ou arbustives) - que signifie ici « cultivé » ?
Avez-vous déjà entendu parler de framboisiers cultivés ou de fraises cultivées ou de mûres cultivées ? Est-ce que pour vous le « maïs cultivé » est un concept ? Non ? Le cas spécifique des myrtilles cultivées s’explique tout simplement par le fait que la domestication des myrtilliers remonte à une centaine d’années. Et le premier sélectionneur et pionnier, Frédéric Vernon Coville, avait naturellement - en tant qu’Américain et bon vendeur - toutes les bonnes raisons de souligner comme il se doit cet acte pionnier : dans son grand article paru en 1912 dans le National Geographic, il parle même de domestication du myrtillier sauvage : The Taming of the Wild Blueberries. La domestication de l’insoumis pour ainsi dire... Quel que soit le continent, les myrtilles CULTIVÉES se différencient à chaque fois des myrtilles sauvages - ce qui en fait ici aussi leur spécificité, car on ne compte pas moins de 350 espèces et elle est présente à l’état sauvage presque partout. Et comme l’on voulait différencier les nouvelles grosses myrtilles bleues américaines, sélectionnées tout d’abord et jusqu’à aujourd’hui sur la base de Vaccinium corymbosum, des fruits sauvages indigènes, il en est résulté la myrtille CULTIVÉE.
Les myrtilles cultivées sont une invention américaine
Comme nous l’avons dit: les myrtilles cultivées sont une invention purement américaine. Et le XXe siècle qui a vu apparaître et se répandre les myrtilles cultivées est le siècle américain. En 1906, le botaniste du ministère de l’agriculture de Washington, Frédéric Vernon Coville (1867-1937), dut presque par hasard s’occuper de myrtilles. Il avait acheté une ferme dans le New Hampshire où passer l’été avec femme et enfants, qui était encerclée de myrtilliers sauvages, ce qui éveilla rapidement l’attention du botaniste et agronome. Lorsqu’ensuite F.V. Coville mena à bien lentement, mais sûrement son projet de vacances dans les années 1910 et 1920 « la domestication du myrtillier sauvage » (tel fut titré son article dans le National Geographic, paru en novembre 1911) et que les premiers cultivars en résultèrent, ils furent distribués très rapidement et sans encombre par son employeur, le ministère américain de l’agriculture, (pas de protection ni variétale ni commerciale, pas de taxes) aux États membres auprès des fermiers. La myrtille cultivée qui venait de naître pouvait s’appuyer sur une base déjà existante : dans les états de l’Est tout au moins, en Nouvelle-Angleterre, une structure de cueilleurs professionnels et négociants existait déjà, ils récoltaient les fruits sauvages au New Hampshire, dans l’état de New York ou au New Jersey et les transformaient pour les marchés urbains. Le marché américain n’attendait que ces fruits évocateurs de l’enfance (nombre de citadins avaient en fait grandi à la campagne dans une ferme). La voie du succès était ainsi toute tracée et se poursuivit avec un dynamisme tout à fait américain : après les états de l’Est en Nouvelle-Angleterre, la culture des myrtilles débuta en Oregon et dans l’état de Washington. Après l’obtention de Vaccinium angustifolium (Northern Lowbush Blueberries), résistant au froid, la culture put s’étendre au Midwest (Michigan, Minnesota), et à l’instar de F.V. Coville à Washington DC, les agronomes des états fédéraux du Sud commencèrent à effectuer un travail de sélection sur les Southern Highbush, surtout les Rabbiteye Blueberries (Vaccinium ashei), qui y sont indigènes - voilà, maintenant les myrtilles pouvaient être cultivées dans les zones climatiques à hiver moins rigoureux, puis dans les états du sud, en Amérique du Sud, en Océanie et en Europe du Sud jusqu’en Afrique du Nord.
Photo : Myrtillier arbustif « Rubel » un des premiers myrtilliers arbustifs à la splendide coloration automnale
Les myrtilles cultivées sont une invention MODERNE (américaine)
Les myrtilles cultivées que nous connaissons et comme nous le disions que nous pouvons acheter pendant toute l’année au supermarché, sont une invention très moderne. La pomme de culture existe en Europe depuis peut-être 2500 ans, même la rhubarbe est cultivée depuis plus de 200 ans et les groseilles sont cultivées et sélectionnées de façon ciblée depuis le XVIe ou le XVIIe siècle. La fraise de jardin, qui est plus ou moins un croisement délibéré d’une variété nord-américaine et d’une variété chilienne, compte déjà plus de 250 années à son actif.
Frédéric Vernon Coville commença en 1906, à s’intéresser aux myrtilliers durant l’été qu’il passa avec sa famille dans le New Hampshire. La domestication des myrtilliers sauvages en myrtilliers dites arbustifs ou cultivés eut lieu seulement et uniquement au XXe siècle, les premières variétés sélectionnées dans la nature existent depuis 1908. La plus connue, la variété Brooks a été sélectionnée dans une population sauvage (Vaccinium corymbosum d’ailleurs), suivie en 1909 par Russel (Vaccinium angustifolium), les deux étant nommées d’après les propriétaires des fermes où on les avait découvertes. En 1909 et 1910 F.C. Coville fit des essais d’autofécondation avec Brooks (qui ne furent pas probants), mais dès 1911 il croisa les variétés Brooks et Russel, puis en 1912 ou 1913 les sélections sauvages Brooks et Sooy (Vaccinium corymbosum x Vaccinium corymbosum), dont les premiers cultivars Pioneer et Katherine furent commercialisés en 1920 - il y a maintenant 100 ans ! Dans sa dernière publication de 1937, F.C. Coville appela son dernier cultivar Dixi, juste avant de prendre sa retraite de botaniste en chef du département de l’Agriculture des États-Unis. Et avec Dixi, il ne faisait pas référence au sud des USA, mais bien sciemment à l’adage des rhétoriciens latins: Dixi, je l’ai dit, j’ai parlé, tout est dit. Le nom et la justification qu’en fit Coville semblent presque divinatoires, et ils ont peut-être choisi en connaissance de cause : Le grand botaniste et obtenteur qui par ailleurs rédigea de célèbres rapports d’expédition botaniques et créa pour ainsi dire le Jardin botanique national dans la capitale américaine décéda la même année en 1937, avant la publication de son grand article de clôture scientifique « Improving the Wild Blueberry ».
Cette modernité, et aussi ce ciblage de la science agronomique n’est certainement pas uniquement une, caractéristique de l’expansion des myrtilles, mais une partie de son succès. Les myrtilles cultivées, un super-fruit d’origine américaine, sélectionnées par des Américains, pour le grand marché unique américain, qui est quant à lui le grand modèle de presque tous les marchés du XXe siècle (tout au moins en Occident). Et cependant, la myrtille cultivée américaine moderne est un cas isolé : Il s’agit du seul fruit américain indigène s’étant répandu dans le monde entier, les paw-paw informes n’y sont jamais parvenus et n’y arriveront sans doute jamais. Parallèlement, les myrtilles cultivées profitent dans leur consécration du fait que l’on connaissait déjà les myrtilles sur tous les marchés, d’abord aux USA, mais ensuite aussi à l’étranger : Les myrtilles étaient et sont déjà presque connues partout sous une forme indigène sauvage. Les myrtilles cultivées ne sont pas des fruits exotiques, mais à tout le moins des « parents éloignés ». Ce qui signifie que les myrtilles ont toujours trouvé - du moins aux USA et en Europe - un champ bien préparé à coloniser. Mais il est néanmoins surprenant que seules les espèces américaines aient trouvé leur place comme plante cultivée. Les essais en Europe de croisement de variétés indigènes sauvages de myrtilles, n’ont jamais connu de vraie réussite commerciale, tout au moins au cours des 100 premières années de la success-story de ce fruit. Les variétés américaines Vaccinium ont manifestement tous les « bons gènes » pour le XXe et le XXIe siècle...
Elles sont transportables et se conservent
L’aptitude au transport et à la conservation (jusqu’à quelques mois) des myrtilles cultivées sont des conditions préalables décisives de leur succès mondial. Et ceci a commencé déjà avec les premiers obtenteurs : Elisabeth Coleman White, qui très tôt soutint l’obtenteur du département américain à l’agriculture Frédéric Coville depuis sa ferme du New Jersey, qui cultiva et sélectionna toutes les plantules et hybridation de F.C.Covilles était comme son père une célèbre productrice de canneberges. Elle faisait ramasser les gros fruits rouges originaires de l’Amérique sur des sites naturels de ses terres et les vendait ensuite dans les grandes villes de la côte Est. Il est hautement probable qu’elle procéda de même avec les myrtilles sauvages, et c’est ainsi que les initiateurs du projet de sélection de myrtilles s’habituèrent dès le début à expédier des fruits sur de longues distances. F.C Coville, E. White et leurs alliés donnèrent par ailleurs des instructions précises dans les années 1910 et 1920 aux cueilleurs de myrtilles sauvages, avec pour mission de sélectionner les myrtilliers particulièrement performants, voire d’envoyer des tiges et des fruits à Washington DC au laboratoire du Département de l’Agriculture des États-Unis et à F.C. Coville : encore une présélection déjà intégrée d’ailleurs dans le programme lui-même pour la capacité de transport et de conservation… En outre et by the way : Peut-être pourrait-on en plus des myrtilles, caractériser les canneberges comme autre succès mondial américain, même si en tant que fruits transformés et non consommés frais, elles sont loin d’être aussi célèbres que les myrtilles cultivées.
Photo : Canneberge « Red Balloon » - airelles (bot. Vaccinium macrocarpon) aux composés très bons pour la santé
La femme derrière les myrtilles cultivées : Elisabeth Coleman White
Je sais par expérience que l’obtenteur influence fortement la forme, la couleur et la saveur de ses cultivars. Bien sûr, on ne peut pas modifier une variété existante et sélectionnée, mais nos préférences, nos propres goûts influencent le choix des cultivars plus que ce que l’on pourrait penser. La sélection n’est jamais objective (elle fait comme si seulement), la sélection est toujours un choix subjectif. Lorsqu’au début de ma carrière d’obtenteur de pommes, j’ai commencé à collecter dans mes champs les variétés de pommes de 4 ou 5 obtenteurs, mais pêle-mêle, je pouvais deux années plus tard à chaque dégustation de pommes dire de quel obtenteur elles provenaient, sans écriteau ni plan. Je ne sais toutefois pas quelles sont mes préférences en matière de sélection, ou de façon approximative seulement : c’est l’angle mort auquel on ne peut échapper…
Mais revenons aux myrtilles cultivées. L’influence d’Elisabeth White de la ferme Whitesbog dans le New Jersey sur les myrtilles cultivées ne peut pas être surestimée. Comme nous l’avons déjà indiqué, elle continua de gérer le commerce de canneberges de son père et était à vrai dire une des femmes les plus connues de l’agrobusiness de la côte Est au début du XXe siècle. Toutefois au décès de son père elle ne reprit pas la direction de l’entreprise familiale, le mari de sa plus jeune sœur lui ayant été préféré, ce qui démontre le rôle précaire de la femme dans la vie économique du début du XXe siècle. Elisabeth White avait lu en 1911 ou 12 un rapport d’essai de Coville sur les myrtilles et s’était immédiatement manifestée auprès de lui : Elle était volontiers disposée à lui fournir des champs et du travail pour faire progresser le développement des myrtilles cultivées. Par la suite, Coville planta presque toutes les plantules de ses croisements chez Elisabeth White de la ferme Whitesbog dans le New Jersey, où elles furent aussi soignées, récoltées, dégustées et sélectionnées. Représentez-vous le travail de sélection pratique et les distances : Entre Washington DC au New Jersey (avec la ferme de culture Elisabeth White) et le New Hampshire (ferme de vacances de la famille Coville), il y a un triangle d’environ 200 miles (300 km) de côté. Ce n’était pas facile à parcourir rapidement en une demi-journée, tout au moins au début du XXe siècle. Quelle fut la suite ? Coville était le stratège, faisait les expériences de base, déterminait aussi certainement les plants parents et réalisait les croisements. Mais le travail de sélection se passait sur la ferme Whitesbog. Elisabeth White était l’obtentrice à proprement parler (en tout état de cause avec ses collaborateurs). Elle décida en définitive du, caractère et de l’aspect des myrtilles cultivées au cours des années 1910 et 1920 qui marquèrent cette culture jusqu’à la mort de F.C. Coville en 1937. Comme les obtenteurs Coville, Draper et Darrow, Elisabeth White s’est consacrée à une variété qui porte son nom, la variété aromatique tardive Elisabeth. Nous avons recueilli il y a 10 ans différents clones d’Elisabeth et constaté des différences considérables puis commercialisé la meilleure sous le nom de Blue Dessert®. Et vraiment : Blue Dessert® se vend à présent bien mieux que Elisabeth auparavant - non seulement en raison d’une meilleure sélection, mais certainement aussi grâce au nom plus évocateur, déjà porteur de sa qualité. Il serait préférable et plus loyal de l’appeler : Blue Dessert d’Elisabeth White.
Photo : Myrtilles cultivées Blue Dessert® - myrtillier tardif, à port érigé et croissance vigoureuse
Les myrtilles cultivées sont grosses
La taille ! Et là nous pensons naturellement à nouveau à l’Amérique. Moi aussi, certes : Tout doit y être grand, ou mieux : encore plus grand. Lorsqu’il y a bientôt 15 ans, j’ai visité un programme d’obtention de mûres aux USA, ce fut parfois un monologue : Je les interrogeais en permanence sur les meilleures mûres, l’obtenteur m’en montrait toujours des plus grosses… - ici le meilleur progrès en matière de taille de myrtilles se produisit tout au début, lors de la sélection des premières variétés, qui atteignaient déjà 80 % de la taille des plus grosses variétés actuelles : Brooks avait déjà diamètre de 1,27 cm, contre 1,43 cm pour Russel ce qui était surprenant pour un Vaccinium angustifolium (c’était peut-être déjà une hybridation naturelle entre Vac. angustifolium et Vac. corymbosum) et les deux premiers cultivars Pioneer et Katherine affichaient respectivement 19,7 mm et 20 mm. Vaccinium corymbosum, la variété de myrtille sauvage originaire de Nouvelle-Angleterre, qui contribua de façon décisive aux myrtilles cultivées, produisait apparemment au tout début déjà de très gros fruits - il suffisait de regarder et de sélectionner.
Les cueilleurs de baies sauvages du New Hampshire et du New Jersey, qui travaillaient pour White et Coville, étaient bien entendu équipés d’un gabarit ou d’un calibre leur permettant de mesurer très rapidement la taille des fruits. La justification de Coville pour privilégier la taille des fruits était très simple et logique : des fruits plus gros abaissent les coûts de production, parce qu’ils se cueillent plus vite, ce qui est donc plus rentable. Ce qui décrit immédiatement le problème central de toutes les productions de baies professionnelles jusqu’à aujourd’hui : les coûts de la cueillette. Dans nos jardins, la taille ne joue pas de prime abord de rôle décisif, mais je plaide depuis déjà longtemps pour la réhabilitation de la mégalomanie américaine, tout en moins en ce qui concerne les baies : tant que les fruits n’atteignent pas la taille d’une bouchée, plus c’est gros mieux c’est, et qui dit grosse taille dit aussi plus de valeur ajoutée : plus de sensation, plus de texture, plus de jus, plus d’arôme, plus d’expérience et bien sûr un meilleur rapport entre les graines et la pulpe.
En tout cas, la taille est devenue la caractéristique essentielle de l’expansion des myrtilles ; aujourd’hui, les fruits sont automatiquement calibrés selon leur taille sur quasiment tous les marchés, et les plus gros fruits remportent toujours les meilleurs prix. Et la taille grava aussi dans le marbre la supériorité des myrtilles cultivées sur les myrtilles sauvages par exemple en Europe. Certes, c’était presque devenu un lieu commun que de chanter les louanges de la qualité des petites myrtilles bleues sauvages par rapport aux myrtilles cultivées (ce qui n’est pas avéré en grande partie), mais en définitive ce sont les plus grosses qui se sont imposées ! J’appartiens vraisemblablement avec le millésime 1963 à une des dernières générations d’Europe centrale, qui ont tout d’abord connu les myrtilles des bois aux petits fruits bleus (sucrés, mais peu savoureux ;-) et qui n’ont pas été marquées dès l’enfance par les grosses baies bleues.
Photo : Myrtille cultivée Blueroma® - un arôme supérieur et de gros fruits
Les myrtilles cultivées ont les bons gènes
Les gènes sont le fruit du hasard, les bons en tout cas... Les Vaccinium corymbosum, les Northern Highbush Blueberries, aux fruits assez gros, étaient largement répandus dans les états de Nouvelle-Angleterre. Rien d’étonnant à ce que Coville et ses alliés s’y soient rapidement intéressés. Et là un autre hasard fit que Vaccinium angustifolium (indigène ici jusqu’au Midwest) était hybridable sans problème avec Corymbosum - le premier croisement de Coville fut entre ces deux espèces. Jusqu’à aujourd’hui dans presque toutes les myrtilles cultivées, il y a un petit pourcentage d’angustifolium -, mais ils n’ont pas réussi encore à s’imposer complètement, hormis au Midwest et ses hivers extrêmement froids (Minnesota, Michigan) : Les arbustes sont plutôt petits, peu productifs et les fruits ont tendance à être plus petits, plus sucrés, mais aussi moins acides... Toutefois, Vaccinium corymbosum était un très bon point de départ des myrtilles cultivées, et a dominé jusqu’à présent ; certes, de très nombreux myrtilliers portent aujourd’hui les gènes d’autres espèces, mais Corymbosum continue de dominer dans les zones climatiques tempérées. Dans les zones climatiques méridionales, le rôle d’espèce ancre de Vaccinium corymbosum a été repris par Vaccinium ashei, la Southern Highbush Blueberry, qui produit également de très gros fruits, mais dont la maturité est significativement tardive et qui a surtout besoin de peu de froid, raison de son succès dans les zones climatiques méridionales à subtropicales.
Mais les myrtilles ont aussi dès le début les bons gènes, y compris au sens figuré, d’une tout autre façon : Elles ont été choisies et sélectionnées pour un monde moderne, en quelque sorte conçues pour le XXème siècle ! Ceci ne concerne autre espèce de baie de la même façon.
Les myrtilles cultivées ne sont pas juteuses
Partons des généralités pour revenir au détail : Dès les premiers écrits et rapports d’essais, publiés à chaque fois sous forme de bulletin du Département de l’Agriculture des États-Unis à Washington DC, Frédéric Coville accorda une grande importance au fait que seules devaient être choisies et sélectionnées les variétés qui ne coulent pas au point de contact entre le fruit et la tige. Voilà : un élément supplémentaire de réussite - surtout si l’on compare les myrtilles aux framboises, leurs concurrentes directes, où figurant parmi les baies les plus importantes, elles rivalisent sur de nombreux marchés. Pour les framboises, il faut toujours s’attendre à un peu de jus et de pleur, toutefois ce n’est pas dû à la tige, mais à la finesse de chaque baie et de sa peau.
Les myrtilles cultivées sont homogènes
Comme nous l’avons déjà indiqué, le premier croisement de Coville était entre une sélection sauvage de Vaccinium corymbosum et une sélection de Vaccinium angustifolium. L’agronome précurseur évalua minutieusement la population et relata le pourcentage exact de la ségrégation des propriétés : les fruits presque noirs avaient tant et tant de pour cent, ceux-ci étaient plus petits, les plus gros avaient les dimensions suivantes, et ainsi de suite. Mais, élevé et formé à l’américaine, il se concentra immédiatement sur les plus grosses et les plus belles myrtilles, aux gros fruits bleu clair de préférence avec une pruine bleu clair-blanche. Just beautiful! Et c’est en toute logique qu’il croisa surtout par la suite des variétés dominées par corymbosum. Coville était sur la piste des bons gènes - tout au moins pour la myrtille cultivée. Mais en tant que bon agronome, voire de génie si on considère toute sa production au cours de sa vie, Coville vit et sélectionna quelque chose de particulier : déjà parmi les 15 premières variétés, il nomma deux cultivars albinos « Redskin » et « Catawba » qui portaient des fruits blancs, légèrement rosés sur la face exposée au soleil, similaires aux « inventions » supposées modernes comme Pink Popcorn ou Pink Lemonade®. Il nota tout de suite à ce sujet qu’il voyait la commercialisation de ces spécialités plus pour les jardins de particuliers que pour le commerce de gros. Il eut à nouveau raison. Tout au moins pour les 100 à 150 ans suivants ;-)
Photo : Myrtille « Pink Lemonade® » - saveur excellente et bel ornement pour tous les massifs de terre de bruyère
Les myrtilles cultivées sont équilibrées du point de vue gustatif
Ce n’est en aucun cas un reproche. Les obtenteurs comme moi ont tendance à choisir des fruits plutôt acides, tout simplement par habitude. Les myrtilles en revanche se situent toujours dans la moyenne dorée, le nombre d’or. Bien sûr à mon avis le goût est encore meilleur si un peu d’acidité donne du corps à la suavité de base des fruits (ce que l’on peut attendre plutôt des gènes de corymbosum et moins d’angustifolium), mais dans un juste milieu entre sucré et acide, les myrtilles penchent nettement du côté sucré qui plaît à presque tout le monde. Il n’y a quasiment pas d’extrême, dans le pire des cas seules quelques variétés sont dépourvues de sucré, mais on ne rencontre quasiment jamais d’acidité agressive, tout au moins pas avec les variétés connues. Et l’arôme a aussi son nombre d’or : bien sûr, il y a là un fin arôme de myrtille, presque vanillé et cependant frais. Mais il est discret et aucunement prégnant, oui même pas particulièrement parfumé (c’est-à-dire avec une fragrance surtout captée par le nez). La myrtille cultivée n’est pas un fruit exubérant, elle est sobre, ronde, bleue et bonne, sans excès. Elle ne rebute d’ailleurs quasiment personne. Pensez juste un instant à l’arôme extrême du cassis par comparaison : ici le public se divise immédiatement en deux : une minorité qui l’aime et une majorité qui l’exècre. Pour les myrtilles, il n’y a en fait que des amateurs modérés et une approbation mesurée.
Les myrtilles arbustives sont bleues (mais pas trop bleues)
Nous associons les fruits au jaune et au rouge. Mais à vrai dire pas au bleu. Pensez à une couleur à associer au mot « Fruit » ou « Baie » : Ce ne sera quasiment jamais le bleu. À partir de là, la myrtille bleue occupe à nouveau un juste milieu, une position différenciée qui la distingue de tous ses concurrents. En définitive une niche. Naturellement les associations avec le bleu sont psychologiquement un peu plus froides qu’avec le rouge et le jaune -, mais la myrtille compense le manque de passion par son profil aérodynamique, qui rencontre toujours l’approbation d’une forte majorité. Et cependant, la myrtille cultivée n’est pas trop bleue : Certes, nous appelons tous de nos vœux les baies totalement bleues des myrtilles sauvages européennes. Mais cet appel n’est pas véritablement bien pensé. Je prends tous les paris : une myrtille entièrement colorée n’aurait pas pu s’imposer comme la myrtille cultivée moderne d’Amérique du Nord, dont seule la peau est colorée. Pourquoi? Pensez maintenant aux mères, à tous les barbouillages sur les doigts et les vêtements. Les mères soucieuses n’auraient jamais autorisé qu’un tel fruit passe dans les mains de leurs enfants et de leurs maris chaque jour et chaque semaine ! Et certainement pas dans la blanche et pure Amérique ! Et sans succès en Amérique, les grandes myrtilles bleues, ou modérément bleues n’auraient pas existé ailleurs dans le monde. C’est juste mon affirmation à présent, je ne dois ni ne peux évidemment prouver ma thèse ;-)
Les myrtilles cultivées sont bonnes pour la santé
La santé est en définitive la signature attestant la réussite de la myrtille : ce merveilleux gros fruit, pur, propre et transportable est de plus bon pour la santé. Certes peut-être pas aussi bon pour la santé que ses cousins, oncles et tantes sauvages, mais suffisamment bon pour la santé pour être encensé comme super-fruit. Il est vrai qu’on peut attribuer presque les mêmes propriétés de façon tout à fait justifiée aux cassis, framboises rouges, framboises noires et mûres, mais la myrtille cultivée ressort assez souvent victorieuse de la lutte entre les géants du fruit bon pour la santé. Parce qu’elle est tout simplement pratique, parce qu’elle fonctionne bien à tous égards. Pour forcer le trait : la myrtille se fige pour devenir une pilule, ronde et facilement ingérable. Mais c’est là un jugement bien trop sévère qui ne correspond pas du tout à ce que je pense. La myrtille a tout simplement de sacrés avantages à son actif, tellement que cela paraît presque injustifié par rapport aux autres fruits.
Photo : Myrtillier arbustif Bluesbrothers - Le myrtillier le plus compact, le plus touffu et le plus productif
La concurrence des myrtilles cultivées : framboises et mûres
Je ne vois actuellement pas comment les framboises et les mûres pourraient durablement conserver leur rang devant les myrtilles, dans le palmarès mondial des fruits. Elles ont tout simplement bien trop d’inconvénients. Avant tout, elles sont comparativement bien trop molles et la structure en plusieurs drupéoles n’est pas précisément avantageuse. Sur les framboises ou les mûres, nous avons à faire à des douzaines, voire parfois des centaines de drupéoles, qui réagissent différemment et qui sont parfois plus ou moins vulnérables : trop complexes pour un produit standardisé, trop fragiles pour une conservation prolongée et de longues distances de transport, et pas assez stable à cause de l’agrégation de nombreuses drupéoles.
Les myrtilles cultivées ont-elles aussi des inconvénients ?
Lorsqu’en 1908 Frédéric Coville constata clairement à la suite de ses essais que les myrtilles devaient être cultivées en terre acide, ce fut plutôt sensationnel, une nouveauté. Jusqu’ici, on était parti du fait qu’en définitive toutes les myrtilles se plairaient en terre de jardin bien drainée, mais cependant humide, modérément lourde et humifère. Sur la base d’essais comparatifs, Coville put montrer que ce n’était pas le cas des myrtilles, qu’elles avaient besoin d’un sol « pauvre » et acide, peu utilisé jusqu’à présent, mais fortement présent dans les états de l’Est. C’était un avantage : Les sols peu utiles du point de vue agronomique pouvaient être désormais exploités ! Mais comme souvent, un avantage est aussi un inconvénient : dans le monde et dans de nombreuses régions agricoles, les terres acides adaptées font plutôt défaut. Et pourtant l’expansion mondiale fonctionne, semble toujours marcher ? Peut-être pourrait-on l’expliquer comme suit : le prix des myrtilles reste toujours stable pour une quantité toujours plus importante, car cet accroissement reste limité et modéré par rapport à la demande. Et l’accroissement des volumes est certes rapide, mais reste limité, car seuls ceux qui disposent de sols acides ou qui peuvent reproduire technologiquement ces conditions, peuvent cultiver les myrtilles. Cependant, ce fragile équilibre ne durera pas éternellement, en tout cas pas encore 100 ans ;-) Il y a déjà 10 ans, le PDG d’un des plus gros producteurs de pommes et de cerises d’Amérique du Nord m’expliqua que son entreprise s’était retirée des myrtilles, justement parce qu’ils étaient partis du principe qu’à un moment donné le marché s’effondrerait et que les producteurs en seraient quittes pour des coûts relativement élevés. Ce que l’homme avait en tête : qu’une myrtille cultivée, quelle que soit sa taille, est nettement plus petite qu’une pomme ou une cerise...
Myrtilles cultivées : l’œuvre de trois obtenteurs
Mon avis personnel sur les myrtilles n’est en fait pas très important. Les grosses myrtilles bleues continueront d’être un succès même sans nous, indépendamment de mon jugement. Mais en tant que jardinier et obtenteur, je suis déjà très enthousiasmé par la conquête des myrtilles en seulement un siècle, une success-story quasiment exceptionnelle en agronomie et une performance hors norme des chercheurs, obtenteurs, conseillers et agronomes impliqués. L’assurance somnambulique quasiment géniale avec laquelle Coville fit les premiers pas, lui qui - comme nous l’avons déjà dit - participa uniquement par hasard au projet, a certainement aidé. Son programme depuis 1906 jusqu’aux années 1920 : D’abord - en seulement 2 ans - apprendre comment la plante fonctionne, comment elle se développe, fructifie, comment elle peut être cultivée, comment elle est fécondée, et le sol dont elle a besoin. Puis tout de suite après, les premiers croisements avec les meilleurs spécimens sélectionnés dans la nature. Puis continuer les sélections. En 1990 plus de 70 % de toutes les myrtilles cultivées étaient des variétés d’obtention Coville. Deux autres grands chercheurs du Département de l’Agriculture des États-Unis succédèrent à Coville, qui marquèrent et continuèrent de développer le myrtillier arbustif : George Darrow (1889-1983), qui poursuivit le développement surtout avec la sélection collective et collaborative avec les états fédéraux, les conseillers, les firmes privées (et qui put ainsi bénéficier de plus de capacités de sélection pour développer le myrtillier arbustif) et Arlen Draper (né en 1930) qui était un véritable mélangeur de gênes et recroisa de nombreuses autres espèces avec le corymbosum, la Northern Highbush Blueberry d’origine... C’est également cette continuité sur un siècle de seulement trois obtenteurs, qui a permis cette réussite des myrtilles.
Des myrtilles cultivées pour le jardin : Que peut encore faire Lubera® ?
Que reste-t-il à faire pour nous, pour le jardin et pour la sélection Lubera® ? Je suis convaincu qu’il s’agit surtout de diversifier la myrtille cultivée, de la rendre plus intéressante pour le jardin, plus individuelle, de réintroduire des valeurs ornementales qui complètent la valeur utilitaire : D’autres formes de fruits, une maturité plus précoce et surtout la capacité à fleurir et fructifier en continu. Imaginez qu’à l’avenir vous pourriez récolter une variété de myrtilles dans votre jardin de juin à août, ou alternativement de juillet à septembre sur le même arbuste, qui porterait simultanément des fruits mûrs et fleurirait sur le bois de l’année...
Retrouvez tout ce qu’il faut savoir sur les myrtilles dans notre dossier correspondant.