Que le monde ait cherché et ait vraiment besoin d'une mûre blanche n'est pas très clair. Mais maintenant elle est là. Et comme je sais qu'elle existe depuis plus de 100 ans (nous avons aussi une version légèrement dégradée dans notre pépinière expérimentale), je me suis mis à la recherche de l'histoire de la mûre blanche. D'où vient la Polar Berry®, la mûre blanche actuelle, et comment a-t-elle bien pu naître... Et à quoi pourrait bien servir une mûre blanche ? Commençons tout de suite par la fin provisoire de l'histoire, avec la nouvelle mûre blanche Polar Berry®...
L'origine de la mûre Polar Berry®
Polar Berry® a été lancée sous ce nom par Ball Ingenuity, le pôle Nouveautés du plus grand groupe horticole nord-américain, Ball Horticulture. La variété n'est cependant pas toute nouvelle, il s'agit simplement de la nouvelle version de la variété Nettleton Creamy White, dont le brevet a été publié en 2009. Selon le brevet de 1999, cette variété a été découverte par un certain Monsieur Nettleton au milieu de mûres sauvages dans un vieux jardin du sud de l'Illinois. Elle a ensuite été replantée dans un autre jardin et multipliée par bouturage...
Comment cela a-t-il pu arriver ? Eh bien, si l'on en croit le brevet, il s'agissait d'une mutation spontanée...C'est bien sûr possible, bien que très inhabituel : une mutation à partir d'un bourgeon, d'un drageon, qui pousse de manière toute différente et ne comporte finalement plus du tout d'anthocyanes, une graine qui germe et ne produit plus de colorants rouges ? C'est en principe possible, mais peu probable...
Les mûres blanches existaient déjà avant...
Nettleton n'est pas la première mûre blanche à faire sensation aux États-Unis. Et à vrai dire, le fait que le brevet ne fasse absolument pas mention des anciens mûriers à fruits blancs à titre comparatif me laisse relativement perplexe. Se pourrait-il qu'on ait volontairement omis quelque chose pour éviter la comparaison entre l'ancienne et la nouvelle variété ? De même, la description montre que la Creamy White de Nettleton est très proche des anciennes mûres sauvages et qu'elle est composée de relativement peu de drupéoles, tout comme les anciennes variétés blanches apparues vers 1900.
Photo : Mûre blanche Polar Berry®, la mûre sucrée incolore
L'obtenteur des premières mûres vraiment blanches :Luther Burbank
L'obtenteur de ces premières mûres vraiment blanches est, une fois de plus -comment pourrait-il en être autrement - l'horticulteur américain de génie du XIXème siècle, Luther Burbank. C'était typiquement un projet de sélection comme il les aimait : cultiver quelque chose de très différent et de surprenant et espérer obtenir un très grand succès grâce à son génie de la culture et du marketing : un figuier de Barbarie sans épines, une mûre blanche...
Bien que Luther Burbank n'ait pas pris en compte les lois modernes de la sélection végétale, ou seulement en marge, son approche est tout à fait logique, même à la lumière des méthodes récentes de sélection.
Le processus de sélection qui a mené à la première mûre blanche
Burbank a commencé avec une mûre jaune brunâtre issue d'une mutation spontanée qu'il avait trouvée par hasard et qu'il a croisée avec la mûre de Lawton, une variété américaine de mûres connue à l'époque. Tous les semis étaient bien sûr noirs, puisque le noir (ou en termes de chimie génétique, la capacité à produire des anthocyanes) domine. Il a ensuite ressemé des semis de ces semis (une génération F2 pour ainsi dire), sélectionné les plus blancs, puis a répété le processus encore une fois pour finalement trouver dans la F3, la troisième génération, la sensationnelle première mûre blanche Iceberg. En semant les semis librement fanés, donc par le biais de croisements frère-sœur et de sélection consanguine, il a rendu homozygote et visible le caractère blanc (= absence d'anthocyanes), qui est en fait récessif et non visible.
La première mûre blanche Iceberg a-t-elle rencontré le succès ?
Comme souvent dans la vie d'obtenteur de Luther Burbank, la mûre blanche Iceberg a certes suscité beaucoup de publicité et d'excitation, mais n'a jamais connu un grand succès commercial. En fait, il semble qu'une mûre doive être noire, et il n'y a rien de plus difficile que de changer les habitudes et les associations bien ancrées (une mûre doit être noire)...La mûre blanche Polar Berry va se heurter au même problème aujourd'hui : elle est tout à fait particulière, ce qui la rend passionnante. Mais ce n'est pas pour cela que tous les jardiniers vont se convertir aux mûres blanches. De plus, les fruits de Polar Berry sont loin d'avoir la taille des mûres modernes, par exemple de la variété Navaho®.
Les mûres blanches de Luther Burbank et les Polar Berry sont-elles identiques ?
Je ne le sais pas encore, et je ne le saurai peut-être jamais, car les variétés de Burbank ont fini par dégénérer après plus de 100 ans et certaines ont été infectées par des virus. Je pense cependant qu'il est fort probable que la Polar Berry®, c'est-à-dire la Nettleton Creamy White découverte par hasard dans un vieux (sic) jardin de l'Illinois en 1999, provienne des vestiges d'une ancienne plantation de mûres blanches datant de l'avant-dernier siècle. Quoi qu'il en soit, c'est plus probable qu'une mutation accidentelle qui aurait aussitôt et directement conduit à des mûres blanches...
Pour finir : quels sont les avantages d'une mûre blanche ?
Dès le début de cet article, je me suis demandé, avec une légère ironie, si le monde avait vraiment besoin d'une mûre blanche...Et pour être honnête, derrière mon ironie se cache un peu de jalousie : que Luther Burbank et Monsieur Nettleton m'aient précédé pour les mûres blanches ;-). J'aurais bien aimé les découvrir moi-même...Car après tout, plus de diversité, plus de variantes chez les plantes, c'est toujours bon à prendre, même si on ne sait souvent pas exactement ce qu'il va en ressortir.
Quels peuvent donc bien être les avantages d'une mûre blanche ?
- Les mûres blanches ne souffriront pas ou très peu de brûlures solaires. C'est justement avec l'intensification du rayonnement solaire que les brûlures solaires deviennent un gros problème pour les mûres. Si elles sont très affectées (symptômes : drupéoles blanches, fruits blancs au milieu des noires), les mûres ont un goût amer, voire sont immangeables.
- Les mûres font partie des espèces les plus touchées par la mouche Suzukii : elles sont noires, donc apparemment bien reconnaissables pour les mouches des fruits, et elles arrivent à maturité tard en été, lorsque la population de ce ravageur est à son apogée. Une mûre blanche sera peu ou beaucoup moins attaquée.
- Les mûres blanches ont tendance à être moins acides et plus sucrées.
- On peut imaginer que, sur la base du blanc, de toutes nouvelles couleurs de mûres seront possibles...
- Un point pour moi : l'amélioration des mûres blanches (plus fertiles, plus grosses, plus savoureuses, plus précoces, obtenir des fruits même sur les tiges de l'année...) est un défi de sélection végétale.
- Combien de baies blanches comestibles connaissez-vous ?
Conclusion : vous ne ferez jamais d'erreur sans vous tromper, chers lecteurs. N'hésitez pas à planter un mûrier à fruits blancs !
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